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chambre avec vue
5 août 2006

Les yeux d'Annie

La courbe de tes yeux

La courbe de tes yeux fait le tour de mon coeur,
Un rond de danse et de douceur,
Auréole du temps, berceau nocturne et sûr,
Et si je ne sais plus tout ce que j'ai vécu
C'est que tes yeux ne m'ont pas toujours vu.

Feuilles de jour et mousse de rosée,
Roseaux du vent, sourires parfumés,
Ailes couvrant le monde de lumière,
Bateaux chargés du ciel et de la mer,
Chasseurs des bruits et sources des couleurs,

Parfums éclos d'une couvée d'aurores
Qui gît toujours sur la paille des astres,
Comme le jour dépend de l'innocence
Le monde entier dépend de tes yeux purs
Et tout mon sang coule dans leurs regards.

Paul ELUARD, Capitale de la douleur (1926)

 

Je me souviens d'Annie Kruger, ma professeur de français à l'école où j'ai passé le bac. Une belle femme, au seuil de la quarantaine, qui faisait abondamment fantasmer l'ado que j'étais. Une enseignante intraitable et cinglante, au "sourire parfumé", qui savait payer l'effort à son juste prix. Avec mes camarades (masculins), on l'appelait "Annie-à-nous", sans doute par dépit et peut-être aussi pour se venger du fait qu'elle ne serait jamais à nous.
En classe de français, Annie nous a présenté Paul Eluard et son oeuvre, via le poème ci-dessus. Je me souviens que ce jour-là, en conclusion de son cours, elle a dit : "C'est un de mes poèmes préférés... je le trouve magnifique". Et elle n'a pas ajouté : "Huhuhu..." car ça n'était pas son style.

Je me souviens avoir sué sang et eau sur des commentaires composés. Beaucoup plus pour lui plaire (étais-je naïf...) que pour avoir de bonnes notes.

Quelques années après avoir quitté l'école, j'ai appris qu'elle était décédée prématurément d'une sale maladie.

Annie était belle, gaie et loyale. La vie est parfois laide, triste et perfide. Les minutes poussent les heures et les années s'empilent dans les décennies. Mais certains souvenirs restent et, malgré une indéniable amertume, ils font sourire. Nul doute qu'au paradis des poètes, Annie est en train d'expliquer à Paul tout le bien qu'elle pense de lui. Et nul doute que Paul est en train de se noyer dans ses yeux. 
Quand je retombe sur ce poème, je pense à Annie.

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Commentaires
A
Ton texte me touche encore plus que le poème.
T
Quelle note magnifique.<br /> Le poeme, tout comme les mots et ton hommage a Annie.
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